L’économie mondiale tourne actuellement à plein régime. Tous les pays ou presque semblent être engagés dans des expansions extraordinairement synchrones. Cela fait de longues années qu’une telle conjoncture ne s’était pas produite! Les entreprises affichent une bonne santé; leurs revenus augmentent… Au total, le contexte économique favorise la confiance des investisseurs. L’année 2017 s’est caractérisée par une saine appréciation des marchés, mais aussi, assez étonnamment, par une très faible volatilité. Début 2018, les marchés envisageaient donc l’avenir avec beaucoup d’optimisme. L’appréciation des valeurs semblait pourtant avoir atteint sa limite dans certains segments, et il était clair que les taux d’intérêt continueraient d’augmenter… La question qui se posait alors était la suivante : combien de temps les marchés pourraient-ils rester aussi optimistes? La réponse est tombée début février. Comme c’est souvent le cas, l’affaissement soudain des marchés a pris tout le monde par surprise, éclatant comme un coup de tonnerre dans un ciel trop serein. Fait étonnant, ce n’est pas une rafale de mauvaises nouvelles qui a rendu les marchés plus volatils, mais plutôt… une excellente nouvelle!

Le gouvernement des États-Unis a publié un rapport sur l’emploi dans lequel il constatait une augmentation des salaires. Si elle confirmait que l’économie américaine continuait d’aller bien, cette augmentation signalait aussi un resserrement du marché de l’emploi ainsi qu’un accroissement des pressions inflationnistes. Mais si l’inflation augmente, les taux d’intérêt risquent aussi de grimper, et plus rapidement que prévu… Face à cette éventualité, les marchés des actions et des obligations ont pris peur. Loin de se limiter aux États-Unis, l’affaissement des marchés et leur repli se sont répercutés dans le monde entier. Certes, les actions ont repris un peu de vigueur depuis. Par contre, le cours des obligations continue de baisser et leur rendement augmente. Conclusion? Les marchés financiers prennent le nouveau risque inflationniste très au sérieux.

Pour mieux comprendre ce brusque changement dans la dynamique des marchés, rappelons-nous d’abord que les taux d’intérêt sont encore inhabituellement bas à l’heure actuelle. Au moment de la crise financière, les banques centrales du monde entier ont déployé des mesures correctives d’urgence. Par exemple, bon nombre d’entre elles ont abaissé leur taux directeur à presque zéro. Ensuite, différents programmes d’achat d’obligations ont été mis en œuvre : c’est ce que l’on appelle « l’assouplissement quantitatif ». Le but de ces interventions? Lutter contre la déflation et sortir les économies mondiales du gouffre. Maintenant que la situation économique s’est améliorée, ces politiques doivent être délaissées. En 2013, alors que la plupart des autres économies nationales restaient fragiles, la Réserve fédérale des États-Unis a été la première à adoucir ses mesures d’urgence. Son ancienne présidente, Janet Yellen, a opté pour un desserrement graduel des interventions mises en place. Cette approche progressive présentait deux avantages : donner le temps aux autres économies mondiales de se remettre sur pied et contenir la volatilité et la prise de risques dans les marchés financiers. À l’époque, ces deux facteurs étaient considérés comme indispensables pour le rétablissement durable de l’économie. Aujourd’hui, sous la présidence de Donald Trump, cette progression étape par étape ne semble plus vraiment à l’ordre du jour.

En principe, les gouvernements recourent aux incitatifs fiscaux quand la croissance économique s’essouffle et que le taux de chômage est élevé. Mais pas l’administration Trump… Ainsi que l’indique Eric Bushell, des placements Signature : « Le président américain utilise énergiquement tous les moyens d’action à sa disposition pour accélérer la croissance, sa panacée économique et géopolitique pour « rendre sa grandeur à l’Amérique » [Make America Great Again]. » [1] Ainsi, l’administration Trump a lancé une « attaque de front […] sur la réglementation des services financiers » pour faciliter l’emprunt. Si les banques peuvent s’en réjouir, la déréglementation constitue aussi un très fort stimulant pour l’économie. Enfin, et surtout, la colossale réforme fiscale adoptée récemment par le Congrès va, elle aussi, suralimenter une économie qui tourne déjà à pleine capacité.

Avec une économie américaine qui risque la surchauffe, les marchés financiers n’ont pas tout à fait tort de s’inquiéter des poussées inflationnistes qui semblent se profiler à l’horizon. En effet, si le taux d’inflation dépasse le niveau cible, la Réserve fédérale pourrait n’avoir d’autre choix que d’accélérer le relèvement des taux d’intérêt. Les marchés financiers avaient anticipé trois hausses du taux directeur de la Réserve fédérale pour cette année. Aujourd’hui, les analystes craignent qu’il y en ait quatre. Il est évidemment trop tôt pour l’affirmer. Disons simplement que Jerome Powell, le nouveau président de la Réserve, aura fort à faire pour bien doser le resserrement monétaire…

Dans ce contexte économique, les responsables des banques centrales ne sont pas les seuls qui doivent trouver le juste équilibre. Ainsi que l’explique Roger Mortimer, gestionnaire de portefeuille principal du fonds Harbour des placements CI :

Depuis toujours, les obligations représentent les placements « hors risque » et les actions fournissent la valeur ajoutée. Puisqu’il se peut que les taux d’intérêt augmentent un peu partout dans le monde en réponse à la reprise économique, le rôle que devraient jouer les obligations au sein d’un portefeuille est plus difficile à établir, les obligations perdant de la valeur au fur et à mesure que les taux d’intérêt augmentent. Les prix des actions, pour leur part, ont déjà fortement augmenté en prévision de la croissance à venir. Avec la hausse des taux d’intérêt, il est probable que les actions continueront à procurer des rendements supérieurs à ceux des obligations […]. Cependant, si les investisseurs doutent que la croissance se maintienne, les obligations pourraient encore constituer des havres sûrs. [Pour nos clients plus conservateurs], la stabilité sera une affaire d’équilibre.[2]

Pour prendre la pleine mesure de cet exercice d’équilibre, rappelons-nous aussi que la hausse des taux d’intérêt peut également nuire aux actions, et de plusieurs façons. C’est particulièrement le cas en ce moment, car l’appréciation considérable que les marchés boursiers ont connue récemment s’explique en grande partie par la faiblesse des taux depuis la crise financière.

Tandis que les conseillers en placement et les gestionnaires de portefeuille déploient tous leurs talents d’équilibristes, rappelons-nous que la diversification des actifs et le suivi attentif et régulier de leur répartition restent nos meilleurs atouts dans ce contexte incertain!

[1] “Perspectives 2018 : L’analyse de nos gestionnaires de portefeuille d’un marché complexe.” Signature gestion mondiale d’actifs, Revue mensuelle Placements CI, janvier 2018.

[2] “Perspectives 2018 : L’analyse de nos gestionnaires de portefeuille d’un marché complexe.” Harbour Advisors, Revue mensuelle Placements CI, janvier 2018.