Un contexte de faible taux d’intérêt est toujours favorable à la valorisation des actions. Comme le dit Warren Buffett, investisseur bien connu souvent cité : « Les taux d’intérêt sont au prix des actifs ce que la gravité est à la pomme. Lorsque les taux d’intérêt sont bas, l’attraction gravitationnelle sur les prix des actifs est très faible. » Dans une récente entrevue télévisée (CNBC, mai 2017), Buffett explique comment cela fonctionne :
« Le point le plus important au fil du temps dans l’évaluation des titres de participation est évidemment les taux d’intérêt […] Si les taux d’intérêt sont destinés à être bas […] tout flux de revenus provenant de placements vaut donc plus d’argent. La bête noire reste toujours ce que les obligations d’État rapportent […] Tout investissement vaut tout l’argent que vous allez retirer d’ici au jour du jugement dernier, actualisé. L’actualisation dépend du fait que vous choisissiez des taux d’intérêt tels que ceux du Japon (c’est-à-dire proches de zéro) ou des taux d’intérêt comme ceux que nous avions en 1982… Quand les taux à court terme étaient à 15 % en 1982, il était ridicule de négocier les titres à 20 fois les bénéfices. »
Lorsque Buffett fait référence à « 20 fois les bénéfices » en tant que mesure de la valeur relative, il parle de la relation entre le prix d’un titre et les bénéfices de l’entreprise. C’est ce que les investisseurs appellent le ratio cours/bénéfice (P/E en abrégé), ou simplement les « multiples » de bénéfices. Le ratio cours/bénéfice a longtemps été utilisé comme moyen rapide de déterminer si un titre est évalué à sa juste valeur ou non. En règle générale, plus le P/E est élevé, plus un investisseur paie pour chaque dollar de revenu courant et plus le titre est cher.
Après une décennie de politique monétaire extrêmement accommodante, la valeur des actions a augmenté de manière disproportionnée par rapport aux bénéfices réels des entreprises. En tant que tels, les « multiples » boursiers actuels ont été considérablement plus élevés que les moyennes historiques, ce qui suggère que les actions pourraient être surévaluées. Mais dans la même entrevue télévisée de 2017, Buffett a surpris les auditeurs en déclarant que le marché boursier était « très peu cher », à la condition que le faible niveau des taux d’intérêt soit garanti pendant encore 10, 15 ou 20 ans! Bien entendu, de telles garanties n’existent pas, et c’est là le dilemme actuel des investisseurs en actions.
Maintenant que les taux d’intérêt sont en hausse, les actions commencent nécessairement à subir de nouveau cette « attraction gravitationnelle ». Sans le soutien d’une politique monétaire plus stimulante, il faudra que les bénéfices des entreprises augmentent, ou que le cours des actions soit ajusté à la baisse. Ainsi, à la fin de 2018, alors que la croissance économique ralentissait en même temps que les tensions commerciales montaient entre les États-Unis et la Chine, il n’est pas étonnant que les investisseurs aient rechigné lors de la dernière hausse des taux d’intérêt en décembre.
Ce qui est intéressant à noter dans le contexte actuel du marché est la mesure dans laquelle les politiques monétaires extrêmes menées depuis 2008 ont généré une déconnexion entre la valeur des actions et l’économie. Cela a été particulièrement manifeste aux États-Unis, où le cours des actions a grimpé en flèche, poussé par la politique de taux d’intérêt zéro de la Réserve fédérale, alors que l’économie avait toujours du mal à se redresser après la crise financière. Nous assistons maintenant au phénomène inverse. Malgré la vigueur relative de l’économie, le marché boursier se trouve placé sous le signe de la morosité, comme si nous nous dirigions vers une période beaucoup plus difficile que ne le suggèrent les principales données économiques. Telle est la transition vers une politique monétaire « normale », qui donnera nécessairement lieu à beaucoup plus de turbulences sur les marchés, d’une manière ou d’une autre.