« À court terme, les marchés boursiers se comportent comme des sondages d’opinion; à long terme, ils sont comme des balances à bascule. »
―Benjamin Graham
Les investisseurs ne sont pas près d’oublier ce début d’année… Le mois de janvier avait à peine commencé que les grands indices boursiers du monde s’effondraient. Aux États-Unis, le S&P 500 a perdu 8 % de sa valeur dans les deux premières semaines de 2016. Au Canada, à l’issue d’un lent repli amorcé en avril 2015, notre indice composé de référence, le S&P/TSX, est maintenant officiellement entré en territoire baissier. (Nous définissons ici le marché baissier par une diminution de sa valeur d’au moins 20 % depuis son dernier sommet.)
Heureusement, la fin janvier a permis aux investisseurs de souffler un peu. D’abord, la rumeur a couru que les Saoudiens et les Russes avaient engagé des discussions pour réduire leur production pétrolière. Ensuite, la Réserve fédérale s’est montrée moins empressée à maintenir l’augmentation des taux d’intérêt aux États-Unis. Néanmoins, ce répit n’a guère duré… Très vite, les marchés ont repris leur déclin.
Au total, le début de l’année 2016 s’est révélé plutôt difficile. Il serait même le pire de toute l’histoire boursière! Comment ces turbulences s’expliquent-elles? Depuis quelque temps déjà, différents types de perturbations déstabilisaient les marchés et provoquaient des épisodes de volatilité. À bien des égards, la situation actuelle constitue une simple intensification de cette conjoncture.
L’essoufflement chinois
Le ralentissement de la croissance en Chine, la deuxième économie mondiale, représente aujourd’hui le facteur d’incertitude le plus important pour les marchés. Alors qu’elle reposait jusqu’à tout récemment sur la production industrielle, l’économie chinoise se réoriente graduellement vers la consommation. L’essoufflement de sa croissance n’a donc rien d’étonnant. Toutefois, cette transition ne s’est pas faite sans heurts et certains analystes s’interrogent sur la capacité du gouvernement chinois à bien négocier ce virage. Dernièrement, la dévaluation du renminbi ainsi qu’un certain nombre de ratés dans la mise en œuvre des politiques ont suscité de vives inquiétudes quant à l’évolution économique de la Chine.
Le fond du baril
La chute des prix pétroliers ajoute à ces turbulences. Puisqu’elle résulte simplement d’une surproduction, elle devrait pouvoir être assez facilement jugulée. Toutefois, force est de constater qu’elle s’éternise. Rares sont les analystes qui avaient prévu que le baril passerait sous la barre des 30 $US (pétrole WTI). Personne ne pouvait imaginer non plus que ce creux de vague durerait aussi longtemps. Aux tarifs actuels, tous les producteurs perdent de l’argent, beaucoup d’argent – même les Saoudiens. Cette conjoncture représente un fardeau considérable pour la plupart des pays pétroliers, mais surtout les émergents (Russie, Brésil, Venezuela, etc.). Or, toute fragilisation de ces nouveaux marchés menace nécessairement l’économie chinoise. Certaines rumeurs évoquent même des faillites possibles dans le secteur pétrolier. Si elles se concrétisent, les banques qui ont consenti des prêts à ces entreprises en subiront le contrecoup. En un mot, la stabilisation des prix pétroliers apaiserait considérablement les marchés boursiers.
Des politiques monétaires divergentes
Le resserrement graduel de la politique monétaire des États-Unis contribue aussi aux turbulences actuelles. Depuis quelques années déjà, la Réserve fédérale se désengage de son programme d’assouplissement quantitatif (AQ). Le problème, c’est que les marchés s’étaient habitués à ces mesures de stimulation monétaire énergique! Manifestement, ils peinent encore à s’adapter à leur retrait. Inévitablement, le désengagement de la Réserve fédérale par rapport à l’AQ déclenche des épisodes de volatilité boursière. Les sevrages ne sont jamais faciles…
Enfin, en 2015, alors que le monde entier se préparait à la première augmentation des taux d’intérêt aux États-Unis depuis sept ans, les banques centrales de la zone Euro et du Japon ont mis en œuvre leurs propres programmes d’AQ et ont ouvert la voie aux taux d’intérêt négatifs.
Cette profonde divergence des politiques monétaires nationales a fait augmenter soudainement la valeur du dollar US dans tous les pays du monde et bouleversé les marchés financiers. Elle a particulièrement déstabilisé les économies émergentes, plus touchées par le phénomène grandissant de la dollarisation (l’adoption du dollar US comme monnaie ayant cours légal par des pays autres que les États-Unis). De toute évidence, les politiques monétaires qui profitent à nos voisins du Sud ne bénéficient pas toujours au reste de la planète. Par conséquent, les banques centrales doivent de toute urgence recommencer à travailler de concert pour stabiliser les marchés. Inutile de dire que les investisseurs observeront très attentivement les faits et gestes de la Réserve fédérale dans les prochaines semaines et les prochains mois!
L’effet « sondages d’opinion »
Amorcée au milieu de l’année 2009, la hausse globale des marchés boursiers dure maintenant depuis bientôt sept ans. Les cours restent élevés – probablement trop en regard de la lenteur persistante des croissances économiques dans les pays développés. Dans un tel contexte, les marchés se montrent évidemment très nerveux.
Doit-on pour autant s’attendre à un effondrement imminent et une récession mondiale? Considérant l’extrême volatilité des marchés, c’est effectivement une question que l’on peut se poser. Rappelons-nous cependant que les indices boursiers ne permettent pas de prédire les récessions avec une grande exactitude : sur 27 récessions annoncées, 16 ne se sont jamais produites!
Si les marchés boursiers reculent, cette baisse se révélera en tout cas très atypique. Certes, les valorisations restent élevées. Nous sommes néanmoins très loin de la bulle boursière : la situation actuelle ne se compare absolument pas à la frénésie technologique de la fin des années 1990 ou à la crise résidentielle qui a agité les États-Unis au milieu des années 2000!
Dans l’ensemble, les perspectives économiques sont bonnes. Par conséquent, rien ne permet d’affirmer que nous allons vers la récession mondiale… sauf si, en cédant à la panique, nous en créons une de toutes pièces!
Les marchés fluctuent constamment au gré des transactions entre acheteurs et vendeurs. Inventeur du concept d’investissement dans la valeur, Ben Graham ne s’y est pas trompé : à court terme, ils se comportent comme des sondages d’opinion. Dans notre contexte actuel d’incertitude, nombreux sont les acteurs du marché qui «votent» pour une entreprise ou une autre, changeant d’avis au gré de l’actualité. Mais en définitive, c’est très bien comme ça! En générant des différentiels de valeurs qui ne se révéleront qu’à long terme, cette effervescence constitue en effet un formidable atout pour les investisseurs patients. C’est l’effet « balance à bascule » dont parlait Ben Graham…